ET SI MARCOU M'ETAIT CONTE

Marcou, mais qu'est ce donc me direz-vous ?
Il s'agit, pour notre famille, d'un récit mythique.
Et pour moi, ce fameux Marcou est à l'origine de ma passion pour un sport se rapprochant des techniques utilisées dans le cadre de cette fabuleuse aventure humaine.

Maintenant nous y sommes, il s'agit donc d'un aven et donc d'une histoire de spéléologie.

L'acteur de cette formidable aventure se nomme Jean-françois BLANC que nous appellons dans la famille, Bibi ou Biquet et c'est tout simplement mon oncle.

 

Replantons tout d'abord le décor.

La montagne de Marcou culmine à 1093 m, au nord du vaste massif de l'Espinouse, non loin de la limite avec le département de l'Aveyron. Sur le plan géologique, cette zone est constituée de plis est-sud-est, déversés vers le sud. Les terrains sont du Cambrien moyen ; des phénomènes d'érosion différentielle s'y sont produits et ont abouti à la formation d'un karst qui explique la présence d'un aven spectaculaire : l'aven de Marcou. Ce mont possède un sommet arrondi et présente un aspect dénudé qui contraste avec les vastes surfaces boisées alentours. De nombreux escarpements rocheux schisteux apparaissent, notamment dans la partie sommitale et en versant sud.

Les faciès de végétation présents sont :
- une lande basse à Genêt purgatif (Cytisus purgans) et Callune (Calluna vulgaris) ;
- une pelouse pseudo-alpine à Brize (Briza sp.) et Fétuque (Festuca sp.).

La montagne de Marcou est une zone d'une exceptionnelle richesse présentant de multiples intérêts. Sur le plan géologique, l'intérêt de la zone est manifeste puisque, outre les phénomènes d'érosion karstique particulièrement rares au sein de ce massif gneissique on note la présence d'une couche géologique en discordance stratigraphique spectaculaire : le houiller. L'aven du Mont-Marcou est célèbre dans le monde des spéléologues puisqu'il présente un à pic dont la hauteur atteint 165 m ce qui en fait un des plus grands d'Europe. C'est de plus un aven fossile dans sa partie supérieure. La situation géographique de ce mont livré aux influences climatiques méditerranéennes, son altitude dépassant 1000 m sont la cause d'un prodigieux télescopage des étages de végétation : des espèces méditerranéennes coïncident avec des espèces atlantiques ou montagnardes. C'est ainsi que l'on observe au sommet le développement d'une pelouse à affinité pseudo-alpine et ceci à 1090 m.


Voici maintenant le récit de la découverte de ce fameux 'Aven du Mont Marcou' conté par mon oncle qui pourra ainsi mettre bout à bout tous ses souvenirs pour que cette histoire mythique deviennent un best seller famillial, connu de tous.

L’AVEN DU MONT MARCOU

Première du grand puits : 165 mètres de verticale absolue

Pour moi l’histoire commence en 1963 . Les spéléos Éclaireurs de France du Clan du Grand Cèdre de Castres découvrent dans un texte de Robert de Joly un commentaire sur l’aven du mont Marcou .

La montagne du Marcou est située à la limite des trois départements Tarn , Aveyron , Hérault , dans la partie nord des Monts de l’Espinouse .Le sommet culmine à 1094 mètres ; la ferme du Marcounet juste en dessous est accessible par une petite route qui part de St Géniès de Varensal .L’entrée de la grotte est à 800 mètres de la ferme , dans le département de l’Hérault .

Le professeur de Joly va descendre de quelques dizaines de mètres puis interrompre sa progression : un énorme bloc de calcaire est suspendu au plafond d’une petite salle , juste au-dessus du passage très étroit qui doit permettre de continuer ; il n’ira pas plus loin .

L’équipe de Castres décide d’aller voir de plus près .

Après plusieurs sorties en 1963 et 1964 ils ont beaucoup progressé.

Le gros bloc suspendu est examiné de partout ; il est en fait soudé au plafond par une belle couche de calcite et il ne tombera pas de sitôt .

L’étroiture est désobstruée et une chatière d’une dizaine de mètres permet l’accès à une grande salle très en pente qui portera le nom de salle de Joly en l’honneur de celui qui a permis la découverte .

Cette grande salle débouche sur une longue et haute diaclase (faille) au fond de laquelle coule une rivière souterraine (souterraine bien sûr puisque à cet endroit on est à peu près à 100 mètres sous terre) .

Les spéléos descendent la rivière et ses trois cascades puis arrivent au-dessus d’un très grand puits qui deviendra la singularité de l’aven du Mont Marcou .

C’est un grand trou noir de 10 mètres de diamètre qui plonge en s’élargissant . Le bruit d’un caillou qui s’écrase au fond ne revient aux oreilles de celui qui l’a lancé que longtemps après , ce qui laisse supposer une grande profondeur .Pour avoir personnellement testé le phénomène : c’est surprenant .

Il n’est pas question d’attaquer un trou pareil uniquement avec des échelles .

Descendeur et autre jumar ne sont connus que par quelques rares spécialistes à l’époque .

Bien sûr à partir de ce moment les spéléos de Castres préviennent les copains et la Fédé (Fédération Tarnaise de Spéléo-Archéologie : FTSA) .

Il faut avant tout connaître la profondeur de ce puits .

En novembre 64 deux équipes sont constituées : l’ équipe de pointe doit faire la mesure du grand puits et l’ équipe de soutien doit remonter le matériel laissé en place par la première équipe ; cela permet à un plus grand nombre de spéléos de participer et pour certains de faire leur première descente du Marcou .

C’est le cas pour l’équipe de pointe constituée de Claude Bou et Claudie sa future femme tous deux d’Albi, J-F Puget et moi-même du Clan Tapitawi Spéléos Éclaireurs de France de Carmaux .

Cela ne fait que 4 personnes avec tout le matériel pour équiper les différents puits avec échelles et cordes d’assurances ; on traîne notre matériel dans des sacs prévus à cet effet de petit diamètre et très commodes .

Tout se passe bien et notre petite équipe avance vite .

Le plus dur est d’être trempés jusqu’aux os dès la première cascade ; la rivière coule assez fort , l’eau est froide . Nous n’avons pas de combinaison étanche mais seulement un bleu de travail style mécano . Nos lampes à acétylène s’éteignent chaque fois qu’on passe sous l’eau à tour de rôle , mais cela n’arrête pas notre progression .Le moral est bon et nous nous entendons très bien .

Nous arrivons au bord du grand trou qui portera le nom du club qui l’a découvert : Puits du Grand Cèdre . Nous descendons jusqu’à la dernière vire (terrasse étroite) .

Une lampe électrique et une paire de pitons sont attachés au bout de notre premier rouleau de ficelle : fais descendre . Puis c’est un autre rouleau,encore un autre , encore un autre ...on rêve , ce n’est pas croyable , ce n’est pas possible , quel trou !!!

Enfin la ficelle se détend , nous entendons faiblement le bruit métallique des pitons touchant le fond et nous ne percevons même pas la lueur de la lampe . Un repère est fixé sur la ficelle , il ne reste plus qu’à remonter pour faire une grosse pelote avec toute la fine corde dévidée .

Nous sommes très impressionnés . On ne connaît pas exactement la longueur de chaque rouleau de ficelle mais on peut estimer que le puits fait plus de 150 mètres !

Nous remontons rapidement , tremblants de froid et sans doute aussi d’émotion .

A notre arrivée à la ferme du Marcounet nos combinaisons sont givrées par le froid ; il fait nuit noire mais l’équipe de soutien nous attend . Nous racontons notre descente et l’évaluation que nous faisons de notre mesure . Ils vont descendre à leur tour et remonter le matos . Un casse-croûte rapide , un nescafé brûlant et dodo dans la paille de la grange .

De retour à Albi je me souviens avoir déroulé la grosse pelote de ficelle avec Claude et l’autre J-F . Nous étions devant le local des spéléos d’Albi : un trottoir , une rue , le trottoir d’en face , on continue , on déroule et c’est long , c’est long . Nous trouvons 165 mètres depuis le dernier relais ce qui donne 187 mètres depuis le départ du puits . Claude annonce la plus haute verticale absolue d’Europe connue à ce jour !!

Pour attaquer un tel morceau , de gros moyens sont nécessaires et après un tas de réunions des différents responsables du département , une véritable expédition regroupant tous les clubs spéléos du Tarn sera organisée sous l’égide de la FTSA(Fédération Tarnaise de Spéléo-Archéologie) dont Jean Lautier est le président fondateur .

Il est décidé que tout le monde se retrouve pendant l’été les deux premières semaines de Juillet .

Les plus jeunes , comme les membres de notre équipe, seront en vacances scolaires , les autres prendront exprès leurs congés à cette période pour participer à la manœuvre .

L’originalité de la manip sera dans les moyens utilisés pour permettre à quelques-uns d’entre-nous de faire la descente du grand puits : on va utiliser un treuil pneumatique (à air comprimé) du type de ceux que les mineurs emploient pour tirer du matériel sur les longs plans inclinés dans les mines ; léger , performant et robuste . Cela veut dire qu’il faudra aussi amener un compresseur près de l’entrée de l’aven ; ce qui n’est pas évident car nous aurons à parcourir 800 mètres à flanc de montagne et la pente va nous obliger à tailler un véritable chemin sur une grande partie du trajet .

Le compresseur qui produira l’air comprimé en surface et le treuil situé à la côte moins 155 seront reliés par près de 400 mètres de tuyaux . Des contacts sont pris , des accords sont passés. Finalement la maison MACO fournit le compresseur et la maison SAMIA nous prépare un treuil pneumatique sur mesure .

Les techniciens disent que c’est possible et que ça doit marcher . A notre connaissance , jamais en spéléo on n’a tenté d’utiliser une telle technique ! Il faut y croire !

Notre équipe va passer l’hiver et le printemps 65 à s’entraîner dur : il n’est pas question de flancher en juillet quand on va retrouver les autres groupes de spéléos et attaquer les gros travaux . Nous avons tout juste 20 ans et seulement 3 ou 4 ans d’expérience souterraine ; c’est peu par rapport à d’autres équipes qui ont des gars plus âgés et plus expérimentés que nous .

Le chemin sera commencé à la pelle et à la pioche quelques semaines avant le gros coup par les gars qui sont libres les W.E . Je me souviens d’un trajet pour y aller . Nous avons glissé sur la route mouillée avec notre grosse Frégate et une roue arrière est restée dans le petit fossé . C’était après Lacaune à la tombée du jour dans une descente ; impossible de repartir .Heureusement une grosse camionnette bâchée est arrivée dans l’autre sens . Le conducteur : « descendez les gars » . Ils sont 7 ou 8 sous la bâche assis sur des bancs face à face ; des bûcherons taillés comme des armoires à glace , à la mine sombre , silencieux et inquiétants !! « Trois d’un côté , trois de l’autre » et pratiquement sans un mot les gaillards soulèvent la voiture et la reposent sur la route : facile !

C’est à l’occasion de cette sortie je crois que nous avons rencontré pour la première fois le RPPM (Révérend Père Pierre-Marie de la Morsanglière de son vrai nom) .

Il venait voir les couches géologiques traversées par l’aven du Marcou .Nous l’avons accompagné dans sa descente et il nous faisait des commentaires éclairés sur les différentes strates rencontrées. Moine à l’Abbaye d’En Calcat , il avait je crois 54 ans à ce moment là .

Géologue et paléontologue , il étudiait une grotte dans laquelle des générations d’ours des cavernes s’étaient succédées pendant des dizaines de milliers d’années .

Particularité de cette grotte : elle servait de maternité aux mamans ourses et on pouvait voir les aires de mise bas fossilisées par la calcite .

Sous les planchers stalagmitiques parfois très épais , il avait retrouvé des quantités d’ossements d’ours , certains vieux de quarante mille ans .

Nous avons eu quelques temps plus tard l’honneur et le plaisir de voir ses collections à l’Abbaye et de visiter sa grotte , fermée par une grille cadenassée et pourtant régulièrement pillée de nuit par ou pour des collectionneurs cupides .( Il existe un marché des crânes et des dents d’ours) . Nous y étions allés pour nettoyer les dégâts causés par ces voleurs imbéciles .

Le RPPM donc nous fit connaître la géologie du Marcou .

Le chemin pour le compresseur est bien avancé quand 32 spéléos du Tarn , plus une infirmière , se retrouvent début juillet au mont Marcou .

Albi , Castres , Carmaux , Lavaur , Brassac , Sorèze , Dourgne : tous les clubs spéléos du Tarn sont représentés .Le président de la Fédé J. Lautier est de la partie .

Le camp de base est installé près de la ferme du Marcounet .

Chacun plante sa tente où il peut : le terrain est très irrégulier . Le coin le plus plat a été choisi pour installer une grande tente marabout qui servira de salle à manger commune et de salle de briefing ; juste à côté le coin cuisine .

Nous sommes 5 du clan Tapitawi (tous unis en langue indienne) de Carmaux :J. Julvez , JF Puget , JC Baptista , JP Bès et moi . Nous retrouvons des gars que nous connaissons , mais aussi plein de nouvelles têtes ; l’ambiance est super.

Le chemin sera vite terminé .Le compresseur Maco de 2 tonnes est utilisé pour faire marcher des marteaux piqueurs ce qui facilite le boulot . Les derniers mètres sont franchis grâce à 2 tireforts et des élingues en acier : il y a trop de pente pour tracer un chemin . Le Maco est installé sur sa plate-forme à quelques mètres de l’entrée .

Notre équipe a été chargée d’installer une ligne téléphonique qui va partir d’une tente placée à l’entrée de l’aven et qui ira jusqu’au dernier relais où sera placé le treuil pneumatique .

Trois postes intermédiaires permettront de joindre la surface ou les autres postes sans trop se déplacer: salle à manger , salle de Joly , entée du grand puits .(Voir plan)

Ce sont des téléphones de campagne à magnéto très rustiques qui s’avèreront extrêmement utiles pour gérer la descente du matériel et le renouvellement des équipes .

On s’est bien appliqué à cacher le fil (rouge et blanc) pour qu’il ne soit pas accroché et arraché par le passage des spéléos et du matériel . Tous les postes fonctionneront très bien sans le moindre problème durant toute l’expédition .

Descendre les tuyaux est une sacrée partie d’acrobatie .

Les flexibles en caoutchouc sont souples mais assez lourds tandis que les tuyaux en PVC sont légers certes mais ne se plient pas . Pour la salle de Joly et la rivière on va pouvoir installer ces tuyaux collés en ligne droite ou presque .

Il est facile d’imaginer les problèmes de joints et d’étanchéité. Dès les premiers essai on constate des fuites ici et là ; surtout aux joints des deux types de tuyaux utilisés .

Le treuil installé sur sa chèvre est maintenu par des élingues fixées avec des spits ( sortes de pitons) plantés dans la paroi . On a mis le paquet ; la chèvre est au-dessus du vide , plein gaz . Il faut que ça tienne , on n’a pas droit à l’erreur .

L’ingénieur de chez SAMIA descend pour faire tourner le treuil ( plus exactement 2 ou 3 spéléos le descendent , il se laisse faire , il est super !)

Après plusieurs essais on trouve la bonne carburation : au départ on envoie 8 Kg de pression avec le compresseur , à l’arrivée au treuil il nous reste entre 800 grammes et 1 kg .

On perd 85 à 90% de pression , c’est beaucoup , mais le treuil peut fonctionner dans ces conditions en tout sécurité . Le seul petit ennui , c’est qu’il givre un peu ; des cristaux de glace se forment dans l’huile et il fait un bruit de moulin à café !

La fatigue se fait sentir ; le manque de sommeil aussi . Au moment d’un casse-croûte , un gars s’est endormi debout , appuyé contre la paroi , les pieds dans la rivière . On lui a donné sa tartine de pain et son maquereau ; bien sûr le maquereau est tombé dans l’eau ! Il l’a repêché sans rien dire et l’a mangé ...les yeux toujours dans le vague , absent , il dormait !!

Il nous est arrivé, au début surtout , de rester assez longtemps au fond . Je me souviens y avoir passé 36 heures d’affilées quand on a descendu le treuil et sa chèvre . C’est ce jour-là que nous avons fait un aller retour non stop avec JC pour ramener de quoi manger : en bas nous avions faim et en haut tout le monde était fatigué , personne ne voulait nous descendre « la bouffe » .

En remontant la rivière j’ai reçu un parpaing sur le casque et je me suis retrouvé à genoux, un peu sonné, mais pas de mal ! Le casque est troué , pas ma tête . C’est ce qu’on appelle « prendre un pet au casque » ; vous comprenez mieux maintenant pourquoi je raconte autant de bêtises .

Nous avons donc fait ce jour-là , deux descentes et deux remontées , ce qui fait pas mal de mètres d’échelle, mais que ne ferait-on pas pour un croûton de pain ?

Trois personnes (2 gars et 1 fille) de la télé de Montpellier sont restés plusieurs jours avec nous . Je me souviens du nom de la fille : Josy-Anne Blanc , nous avons le même patronyme .

Le caméraman , lui , m’a fait une drôle de surprise : un jour en rentrant au camp de base , je l’ai croisé sur le chemin ; j’ai cru me voir marcher : même taille, même allure , mon futal et ma veste kaki , c’était moi ! il avait piqué mes fringues de rechange et s’apprêtait à descendre avec une équipe pour tourner des images !! Faut pas se gêner !

Grâce à lui toutefois nous avons vu le grand puits éclairé avec ses spots : une vision unique.

C’est aussi à cause de ce gars que j’ai eu une main légèrement brûlée . Il filmait des sorties de spéléos et sans le vouloir il coinçait l’échelle . Je sortais , j’ai voulu décoller l’échelle de la paroi pour y mettre mes pieds ; la secousse a excité ma lampe à acétylène et une grosse flamme a giclé ( on appelle ça "faire le chalumeau ") , j’avais la main droite juste au-dessus coincée entre la paroi et un barreau : elle a tout pris , j’ai eu une belle cloque que l’infirmière du camp m’a soignée .

Un soir nous avons bien sur fait la descente...à St Géniès pour voir les infos régionales et nous avons eu le plaisir de nous voir en vedettes à la télé !!

A partir de ce moment là, les visiteurs furent plus nombreux au Marcou .

J’avais déjà eu la surprise et le plaisir de voir ma mère accompagnée de deux amis Mr et Mme Vic ; ils ne m’avaient pas prévenus et je fus tout surpris de les retrouver à l’entrée du trou ; ils apportaient quelques bonnes bouteilles pour soutenir les troupes !

Les gendarmes eux étaient présents dès les premiers jours ; ils avaient été prévenus ; ils nous apportaient les prévisions météorologiques pour la journée . De ce point de vue, nous avons eu un temps idéal . J’imagine un gros orage , la rivière en crue : impossible de continuer ; trop dangereux .

Des gens de la vallée montaient même à pied ; certains ont mangé à midi avec les gars de permanence à la surface et ont passé l’après midi à discuter en attendant de voir sortir quelques-uns de ces hurluberlus qui se baladent sous la terre !

Les derniers essais sont impeccables ; tout est OK . C’est parti .

Le premier à descendre , suspendu à son câble comme une araignée au bout de son fil , c’est Jean Julvez . C’est le plus gonflé de notre équipe . Il aura l’honneur et le privilège de faire la première .

Il est équipé d’un téléphone pour communiquer avec l’ingénieur de SAMIA qui pilote le treuil :

« C’est bon , on continue , pas de problème , on descend , tout va bien , ça commence à tourner......on continue …on descend... »

A ce moment là , je suis à la surface dans la petite tente à l’entrée du trou avec d’autres spéléos et nous partageons les écouteurs pour suivre la descente . Je surveille aussi le compresseur car le gars de chez MACO a fini la bouteille de Martini apportée par Mr Vic et il fait une grosse sieste !!

La descente dure près de 15 minutes - c’est long - ... et J. Julvez touche le fond , à moitié saoul ! Le câble pourtant anti-giratoire n’a pas suffisamment fait son effet et le pauvre est arrivé en bas en faisant la toupie . Rien de grave , il s’en remettra très vite .

Tous les téléphones parlent en même temps pour le féliciter et lui dire notre joie.

Il va visiter un moment le fond du grand puit; c’est un amoncellement d’énormes blocs sur un espace de plus de 40 mètres de diamètre . Il reste assez peu de temps seul en bas; il va retrouver son fil d’Ariane et remonter jusqu’au treuil puis dans la foulée et avec toute l’équipe du fond il va rejoindre la surface .

On l’attend , ça va être sa fête !! Et on lui a fait sa fête !!

Je vois encore sa tête quand il est sorti du trou ! Il a réussi . Nous avons réussi !C’est le bonheur .

A partir de ce moment-là notre expédition était un succès ; nous avions vaincu et ce pour la première fois une verticale absolue de 165 mètres du nom de Puits du Grand Cèdre dans l’Aven du Mont Marcou !!!

Il restait à parachever l’exploit et envoyer d’autres spéléos en bas ; une liste avait été préétablie .

Ce fut donc ensuite le tour de Claude Bou qui eut des problèmes avec le câble téléphonique : à la remontée les spires avaient fait un tas de boucles et c’est un énorme sac de nœuds qui est remonté en même temps que Claude .

Après , c’est Brugier qui est descendu puis Thierry Barthas , mais je devais dormir au moment de sa descente, car je ne me souviens pas comment ça s’est passé .

Bien sûr on ne pouvait pas continuer jusqu’à ce que tout le monde soit allé au fond ; les jours passaient et il fallait remonter le matériel avant que le séjour ne soit terminé .

Le 14 Juillet quelques-uns d’entre-nous monterons le soir au sommet du Mont Marcou pour assister aux feux d’artifices tirés un peu partout en bas dans la plaine . Nous avions notre victoire et ceux d’en bas nous offraient le spectacle pyrotechnique : magnifique ! Je crois me souvenir que nous avions compté 17 départs de feux d’artifices différents !

La remontée du matériel fut assez rapide mais nous n’avions pas terminé à la date prévue .

Notre équipe et quelques autres avons continué un jour de plus pour finir le travail , nous étions en vacances .

Je me souviendrai toujours de la bobine du treuil pneumatique : presque 200 mètres de câble , ça pèse ! Je la trimbalais dans un sac à dos , et sans l’aide de Brugier , je n’aurais pas pu remonter la salle De Joly . Il me prenait par les bretelles et me relevait chaque fois que je glissais et me retrouvais à genoux . Merci Brugier .

Si je ne fais pas erreur nous avons quand même laissé au fond le treuil à main dont je n’ai pas parlé et qui était installé à l’entrée du grand puits , vingt-cinq mètres au-dessus du treuil pneumatique .Il y est peut-être encore aujourd’hui .

Retour à la maison , à Fontgrande , sans problème avec tout de même un accueil assez particulier : ma cousine Danièle est de passage chez nous ; elle a tapissé les volets de la fenêtre de la salle à manger avec du papier sur lequel elle a écrit en grosses lettres : « Bienvenue au héros valeureux » .

C’est gentil non ??

J’ai pris un bon bain tout à fait nécessaire car nous devions tous sentir l’ours des cavernes parfumé à l’acétylène ( ce qui peut surprendre les non initiés !). J’ai pratiquement mangé tout le repas prévu pour la famille et je me suis couché .

Mon sommeil a duré 24 heures sans la moindre interruption !! Nous avions accumulé un énorme manque pendant 15 jours .Au bout d’un certain temps , ma mère étonnée surveillait mon sommeil et venait me voir de temps en temps puis revenait auprès des siens en leur disant : « il va bien , il n’est pas chaud , il n’est pas malade , il dort toujours !! » J’étais dans la moyenne , car les autres membres de l’équipe ont dormi eux aussi de 23 à 25 heures pour rattraper le retard .

36 ans après , je livre ici quelques-uns de mes souvenirs sur cette belle aventure .

Je ne peux tout de même pas passer sous silence un triste événement que J. Lautier me racontera par le détail quelques temps plus tard .

Dans les années qui suivront notre exploit , les spéléos vont utiliser le jumar très couramment et pourront ainsi attaquer le grand puits avec des moyens très légers .Malheureusement un jeune spéléo de Montpellier y laissera sa vie ; suspendu à sa corde dans le grand puits , une plaque de calcaire s’est décrochée et lui est tombée dessus ; il mourra avant que les secours n’aient pu le remonter .

Si des anciens du Marcou lisent ces lignes , ils pardonneront mes oublis et rectifierons eux-mêmes les erreurs que j’ai sans doute commises , leur mémoire ayant peut-être gardé des souvenirs plus précis que les miens .

Je salue ici Jean Lautier et Jean-Paul Bès deux anciens qui nous ont quitté.

Quelques années plus tard je retrouverai les gars de la Fédé mais pour des raisons archéologiques cette fois ce qui est une toute autre histoire .